Aujourd'hui, en cette fin février 2014, le chemin encore noyé il y a trois semaines, émerge à nouveau, et file tout droit entre les chemps inondés qui reflètent un ciel parfaitement bleu. D'un côté, les roseaux agitent leur plumeaux argentés sous la brise, tandis que de l'autre, le terrain se hérisse de saules aux branches rouge orangé, et de lampourdes glouterons encore ornées de fruits bruns et épineux. Entre Argens et Eau Salée, nous sommes au lieu-dit "L'Essor" sur la commune de Châteauvert. "Une Zone d'Expansion des Crues (ZEC)", précise Marjorie, guide naturaliste, qui nous la fait découvrir à l'occasion des Journées Mondiales des Zones Humides.
UNE VISITE EN AVANT PREMIERE
C'est un peu une visite en avant-première, car le Conseil Général est en transaction pour acquérir ce terrain privé de 170 ha, en amont de la confluence de l'Argens et de l'Eau Salée. "Un terrain très riche", souligne Marjorie, "qui comporte ripisylve, prairies sèche et humide, collines avec ubacs et adrets."
La rivière de l'Eau Salée qui prend sa source près de Varages et traverse Barjols reçoit de nombreux affluents, et vient quasimment doubler le débit de
l'Argens à Châteauvert.
Ici, les crues sont régulières, et l'eau recouvre alors non seulement le chemin de terre qui mène aux bâtiments abritant l'Institut Pédagogique, Thérapeutique et Educatif, mais aussi la route de Barjols sur 2 kms.
"L'Association de L'Essor demande la réfection du sentier au Conseil Général. Il faudra le surélever avec géotextile et terre. On voit bien qu'en raison des crues, le méandre de l'Eau Salée est en train de disparaitre, et une partie de la rivière court tout droit le long du chemin".
De nombreux poissons se sont égarés sur ce raccourci, des chevesnes : voraces et omnivores, ils consomment petits poissons, larves et insectes, mais aussi plantes aquatiques.
"Sur les prés environnants, l'agriculteur faisait du fourrage jusqu'à l'an dernier. il a dû abandonner, et c'est maintenant une zone de pâture pour chèvres et moutons".
Phragmites, saules et lampourdes envahissent le terrain. "Les lampourdes ou petites bardanes, servaient autrefois à teindre les cheveux en blond. C'est une plante toxique qui peut provoquer des paralysies chez le bétail. Ses feuilles, très découpées, à l'aspect duveteux, sont bicolores. Ses fruits se collent sur les poils des mammifères."
UNE VEGETATION TYPIQUEMENT PROVENCALE
Le chemin monte vers les habitations, et très vite nous rencontrons un imposant chêne pubescent ou chêne blanc, d'environ 400 ans. "Il possède de belles branches légèrement courbées. Autrefois, elles étaient découpées en planches pour la construction de bateaux en bois à Toulon."
Sur le flanc sud de la colline, poussent des filaires à feuilles étroites ou alaverts, arbustes typiques de la Provence, de la famille des oliviers. "Avec ces feuilles qui limitent l'évaporation, ils sont tout à fait adaptés à la sécheresse."
De jeunes chênes verts ressemblent à s'y méprendre au chêne kermès, mais à y regarder de plus près, leurs feuilles bicolores, d'un vert luisant sur le dessus et blanchâtres en dessous, font la différence. Ils abritent des coccinelles, et tandis que nous poursuivons notre chemin, nous sommes surpris par le vol d'un citron de Provence : un jeune "tout neuf", ou un ancien qui a survécu à l'hiver ?
Mais quelle est cette roche sous forme de strate ? "Une marne, une roche sédimentaire composée de calcaire et d'argile. Celle-ci contient aussi de la silice, et elle est riche en fer. Des lichens s'y sont installés."
Et quelques pas plus loin, voici une cagneule, une "pierre à trous" comportant de nombreuses zones dissoutes. "Elle a été formée par dépôt de calcaire sous l'eau de mer, et date de plusieurs dizaines de millions d'années. son aspect peut faire penser au tuf, mais ce dernier est beaucoup plus léger, et d'origine totalement différente, car il est dû à la précipitation du calcaire des eaux de source à leur émergence". Ici, une petite araignée verte a trouvée refuge. "C'est micrommata femelle, toute de vert vêtue, et caractéristique de la garrigue."
Pins et chênes se dressent en fond de ce décor où des genévriers cades arborent des baies d'un brun-orangé. "Il faut deux ans pour que ces fruits parviennent à maturité. Mis dans un presse-ail, ils parfument agréablement une omelette ou une ratatouille. C'est un arbre qui n'a jamais été domestiqué. Il est impossible d'obtenir un champ de cades en plantant des graines. Il pousse où bon lui semble."
L'arnavet (hérisson en provençal), ou paliure, ou épine du Christ, ou encore bec de faucon... présente ses branches aux piquants acérés. "C'est l'arbre à sécher les figues, que l'on enfile sur ses épines. Ses fruits ailés, en forme de soucoupe volante, lui ont valu une série d'autres noms : porte-chapeau, chapeau de curé... Ses petites fleurs jaunes en étoile, apparaissent avant les feuilles, pour s'offrir à la pollinisation des insectes."
VUE SUR LES RIPISYLVES
Près des habitations, nous avons une vue très dégagée sur l'entrée du Vallon Sourn, la ripisylve de l'Argens à droite, et celle de l'Eau Salée à gauche.
"Le feuillage de la ripisylve apparait au printemps, et la transpiration des arbres crée un micro-climat humide : un "effet oasis" apparait sur la vallée. On observe dans cette forêt-galerie des peupliers blancs, des noisetiers, des frênes, du lierre... Ces grands arbres servent de reposoirs pour les rapaces qui vont éliminer mulots et campagnols des champs en contrebas. Ce sont aussi des épurateurs d'eau, grâce à leurs racines qui captent les pesticides avant qu'ils ne se répandent dans la rivière. Il faut toujours garder une zone tampon entre les champs et l'eau."
Le chemin poursuit son asencion en douceur. Près d'un point d'eau, une ficaire ou fausse renoncule exhibe ses premières fleurs d'un jaune éclatant. Plus loin quelque orchis géants émergent timidement. "Cette orchidée n'est pas spécifique de la région. On la trouve dans le nord jusqu'à Lille. Très souvent arrachée car confondue avec la jacinthe, elle a été protégée pendant 20 ans, ce qui l'a souvée. Aujourd'hui, la protection a été levée."
Près d'un taillis de chênes, et sur un terrain plat où le sol est noir, Marjorie reconnait l'emplacement d'une ancienne charbonnière. "Le sol recommence à être colonisé par des plantes à racines superficielles."
Encore quelques dizaines de mètres, et nous découvrons le brachypode rameux, la graminée des garrigues. "C'est la plante des bergers, l'herbe à mouton par excellence."
Et à côté, une petite germandrée, la germandrée tomanteuse dont la feuille froissée dégage une odeur de saucisson.
Peu à peu, au fur et à mesure que nous grimpons, le sol se raréfie pour laisser place à la roche parsemée de bouquets de romarin, au joli nom original de "rosée de mer", de thym et de bonjeanie, encore dite "pied de coq", badasse ou faux thym. "Elle appartient à la famille des mimosas. Elle fleurit tôt, en février-mars, et représente un gros apport de nourriture pour les abeilles."
Le sentier s'oriente nord-est pour dégringoler dans la forêt. Des lichens ont poussé sur un pistachier térébinthe. "Un lichen est l'association d'un champignon et d'une algue, parfois d'une bactérie. Il ne se nourrit pas du bois, il est entièrement autonome."
Nous levons la tête pour admirer le vol rapide d'un épervier, et remettons le nez par terre pour examiner une vieille crotte de renard où l'on distingue des graines de filaire, et tout autour, de jeunes pousses de tulipes australes. Encore une trace de mammifère qui vient s'ajouter à la "moquette de chevreuil", ainsi qu'aux empreintes de fouine et de blaireau.
RETOUR DANS LA PLAINE
Nous sommes de nouveau en terrain plat, sur le chemin inondé qui borde les champs. Ormes et peupliers blancs dont les troncs s'embellissent de petites bouches ourlées de lèvres noires, les pores de respiration, dominent une végétation plus basse :
Le rouvet blanc, ou osyris alba, qui a longtemps servi à faire des balais. "Il donne des fruits rouges. Il vit en lisière des bois et parasite les arbres qui sont autour de lui. Brûlé, ses cendres peuvent servir pour la lessive, comme les cendres du figuier."
Le troène dont les baies noires persistent sur les rameaux une partie de l'hiver.
Le grémil , lithospermum ou "herbe aux perles", appartient à la famille de la bourrache, et fait de petites fleurs bleues. "C'est la plante qui fait des cailloux. Elle entoure sa graine de calcaire qui sera dissous aux premières pluies de printemps."
Le petit houx ou fragon, dont on remarque toujours les fruits rouges, mais moins souvent la fleur, disposée sous les rameaux élargis ressemblant à des feuilles, les cladodes.
Le nerprun aux fruits noirs, le cornouiller sanguin, la bardane... et quelques mûriers. "Au 19ème siècle, le paludisme était présent dans le département, et la plantation de mûriers a été encouragée pour assécher les terrains."
La balade s'achève, l'air a fraichi et les ombres s'allongent. Dans le ciel, des goélands volent en V avant de disparaitre, comme aspirés au firmament. "Ils se laissent porter par les courants d'air chauds pour rentrer chez eux, de l'autre côté du massif des Maures."
LE PROGRAMME PAPI PRESERVER LES ZEC
Sur le plan que nous présente Marjorie, on voit l'évolution du paysage avec la disparition progressive du méandre de l'Eau Salée. "N'oublions pas que le bassin versant de l'Argens représente près de 3000 km2, soit la moitié de la superficie du Var, et 40% de la population vit en zone inondable. C'est pourquoi le Conseil Général a lancé un Programme d'Actions de Prévention des Inondations (PAPI) avec ses partenaires (Commune de Taradeau,Syndicats intercommunaux, Chambre de Commerce et d'Industrie, Chambre d'Agriculture, DREAL PACA). Préserver les ZEC s'inscrit dans ce programme en diminuant le risque d'inondation." |