"On l'appelle Planète Terre, mais en fait, c'est la Planète Océan. Le problème est que pour nous l'océan, c'est juste de l'eau au loin, alors que pendant des centaines de millions d'années, il a été le système vital qui a permis le maintien de la Vie", a expliqué Paul Watson, fondateur de Sea Shepherd, le 17 mars 2016 à Draguignan. Accompagné de Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd-France, il a abordé tous les problèmes liés à l'océan : la pêche industrielle, le braconnage, la consommation animale, la pollution... Comme l'a dit Michel Berthelot de l'association Colibris83-Dracénie, organisateur de cette conférence : "Paul est venu nous parler de la mer, pour parler de la terre".
LES BALEINES JARDINIERES DE L'OCEAN
Le premier maillon de la chaîne alimentaire est le phytoplancton, ces végétaux microscopiques qui vivent en suspension dans l'eau, eau douce et eau de mer. En milieu marin, on a répertorié plus de 5000 espèces de ces organismes unicellulaires qui se développent en utilisant le gaz carbonique et les sels minéraux dissous dans l'eau, grâce à la photosynthèse. "Le phytoplancton fournit plus de 50% de l'oxygène que nous respirons, le reste venant des forêts", explique Paul. "La planète a donc deux poumons, un bleu et un vert". Or, depuis 1950, nous avons perdu environ 40% de la population de phytoplancton. Pourquoi cette disparition dont nous sommes, pour la plupart, complètement inconscients ? "Parce qu'au cours du 20ème siècle, nous avons tué 90% des grandes baleines, dont plus de 300 000 baleines bleues. Et elles sont, en quelque sorte, les jardinières de l'océan. Une seule baleine bleue produit chaque jour 3 tonnes d'excréments". Les excréments de toutes les espèces fournissent l'azote et le fer, principaux nutriments du phytoplancton, qui va nourrir le zooplancton et d'autres espèces. "La vie sur terre dépend directement de ces petites créatures".
PECHE INDUSTRIELLE ET BRACONNAGE AVEC L'ACCORD DES GOUVERNEMENTS
D'après l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature, on a déjà exterminé 90% des poissons de l'océan. Il devient de plus en plus difficile de capturer ceux qui restent. "Aujourd'hui, on compte très peu de vrais pêcheurs au monde. Ils ont été évincés et remplacés par les multinationales de la pêche, dont la seule préoccupation est de faire un maximum de profit en un minimum de temps. Ils se fichent complètement que des espèces disparaissent". Les moyens utilisés sont en conséquence : bateaux géants très sophistiqués, repérage par satellite, filets maillants et dérivants mesurant parfois jusqu'à 100 kilomètres de long.
Une pêche qui représente en outre un incroyable gaspillage. "Par exemple, chaque kilo de crevette prélevé par la flotte industrielle, entraine la mort inutile de 20 kilos d'autres espèces. Ce que l'on inflige à l'océan, ne serait plus toléré sur terre".
Cependant, la pêche ne se maintient que parce qu'elle est hautement subventionnée par les états : "100 milliards d'euros à l'échelle internationale".
MITSUBISHI CORPORATION : DES STOCKS DE THON ROUGE DE MILLIERS DE TONNES
"Mitsubishi possède à l'heure actuelle", remarque Paul, " des milliers de tonnes de thon rouge congelé. De quoi satisfaire la demande du marché japonais pendant les 10 prochaines années, sans pêcher un seul thon rouge. L'entreprise sait que, si elle arrête de pêcher, la population de thon rouge en Méditerranée augmentera, et la valeur de leur thon congelé diminuera... Et si le thon rouge vient à disparaitre complètement, sa réserve se vendra à prix d'or. La pêche industrielle continue à alimenter le marché avec cette espèce en danger. Chaque année, les scientifiques recommandent un quota zéro, et les autorités européennes le fixent autour de 5000 tonnes. Et l'on en pêche en réalité, quelques 60 000 tonnes. Mais personne n'est arrêté... Il n'y a pas de conséquence..." |
Il existe des zones protégées, des réserves marines, des sanctuaires... "Pour certains pêcheurs, ce sont surtout des secteurs où il est facile d'attraper les poissons. Nous travaillons avec la réserve marine du Parc National des Galapagos depuis 16 ans, et les braconniers y tuent encore 300 000 requins chaque année !" Les braconniers, Sea Shepherd les traque inlassablement d'un bout à l'autre de la planète, confisquant filets illégaux et faisant condamner les coupables. Il faut savoir que 40% des poissons vendus sur le marché, ont été pêchés illégalement.
La France possède le deuxième territoire maritime le plus grand au monde après les U.S.A. "La marine française pourrait causer beaucoup de tort à la pêche illégale. Elle en a les moyens. Mais pas la volonté politique... Les gouvernements obéissent avant tout aux multinationales qui gouvernent cette planète".
DES ZONES TABOUES
"Pendant des siècles en Polynésie", explique Paul, les chamans déclaraient une baie donnée comme zone taboue, où toute pêche était interdite pendant 20 ans. Quiconque était pris en train de pêcher illégalement, encourait la peine de mort. Ils avaient compris que la survie de ces poissons signifiait leur propre survie". |
ANIMAUX D'ELEVAGE : LES PLUS GRANDS PREDATEURS MARINS
De nos jours, la pêche ne nourrit pas que les êtres humains, mais aussi les animaux, dans une énorme proportion. "45% des poissons pêchés dans l'océan ne sont même pas destinés à la consommation humaine", poursuit Paul. "Les poulets en élevage industriel ingurgitent plus de poissons que tous les macareux et albatros. Ces poulets, cochons et chiens domestiques sont devenus les plus grands prédateurs marins". Car on tue chaque année, 65 milliards d'animaux de ferme. Un million chaque jour en France.
"La Norvège, le Japon et la Chine sont en train de construire de grands bateaux pour aller pêcher le krill, ces petites crevettes, aliment de prédilection des cétacés à fanons, en Antarctique. Les japonais disent que les baleines, trop nombreuses, mangent NOTRE krill. Ils veulent en faire une sorte de farine animale pour l'élevage".
Paul précise qu'à la Cop21, le fait qu'on tue tellement d'animaux n'a pas été entendu. "Pourtant, l'industrie de la viande est responsable de 24% des émissions de gaz à effet de serre, quand l'industrie des transports en émet 14%". La production de viande utilise plus d'énergie, et produit plus de pollution que n'importe quelle autre industrie. C'est une énorme consommatrice d'eau. Mais en parler est un sujet tabou. "Les grandes O.N.G. environnementales vous conseillent de prendre des douches plus courtes. Mais si vous restez sous la douche pendant 6 jours en continu, vous dépenserez la quantité d'eau nécessaire à la confection d'un hamburger".
LE SAUMON D'ELEVAGE : UNE ABERRATION
On trouve beaucoup de saumons disponibles à la vente, principalement d'élevage. "Il faut 70 poissons sauvages pour nourrir un poisson d'élevage". Ils sont en si grand nombre dans les parcs, qu'on doit les mettre sous antibiotiques pour lutter contre les maladies. Qui se propagent malgré tout jusque chez les poissons sauvages. "A l'ouest du Canada, on observe un effondrement de la population de saumons sauvages, contaminés. Savez-vous que cette couleur rose du saumon d'élevage, est artificielle ? C'est la couleur du saumon sauvage qui se nourrit de krill. Les saumons d'élevage sont d'un blanc cassé, peu apprécié des consommateurs. On ajoute donc un colorant artificiel à leur nourriture". |
DES MILLIONS DE TONNES DE PLASTIQUES POLLUENT L'OCEAN
Au fil des ans, des centaines de millions de tonnes de plastiques transforment l'océan en une vaste poubelle. Nous en consommons de plus en plus, et notre gestion des déchets laisse à désirer. Aussi, acheminés par les cours d'eau, ils atteignent l'océan : bouteilles, sacs, polystyrène, filets, bidons, textiles synthétiques... Ils coulent ou flottent en surface. Cette pollution touche toutes les zones océaniques, ainsi que les côtes, notamment en Méditerranée. Entrainés par les courants marins, ils s'amoncellent dans certaines zones que l'on décrit comme "continents plastiques". "Le plastique se désintègre en micro-particules, ingérées par les poissons et les oiseaux. C'est ainsi que meurent des millions d'animaux marins chaque année. Dans les îles Midway, refuge des albatros, on trouve des cadavres de jeunes oiseaux. Les parents leur ont apporté des particules de plastique, confondues avec le krill".
Sea Shepherd a lancé en 2014 le projet Vortex "un nettoyage des plages et des océans, avec des solutions de recyclage, entre autres, sous forme de vêtements".
RESPECTER LES LOIS ECOLOGIQUES
La Cop21 s'est déroulée à Paris il y a quelques mois. Nombreux sont ceux venus y assister, car les problèmes sont reconnus. Mais quelles solutions ? "Il y en a", explique Paul, "mais aucune n'a été abordée". De fait, l'accord conclu, non contraignant, ne sera pas ratifié avant 2020.
"Aucune espèce n'a survécu sur cette planète en enfreignant les lois écologiques :
Nous sommes tous passagers sur un vaisseau spatial, cette grosse boule de terre qui gravite autour du soleil, et tout vaisseau spatial possède un système vital qui lui permet de fonctionner. Celui de la planète fournit l'oxygène, la nourriture, et gère les déchets. Pour nous, c'est l'océan, et toutes les espèces de la vie marine font partie de l'équipage. Or, nous sommes entrain de tuer notre équipage. Le seul moyen d'éviter la catastrophe, est de donner le temps à l'océan de se restaurer".
SEA SHEPHERD UN MOUVEMENT INTERNATIONAL
Né en 1950 au Canada, Paul grandit dans un village de pêcheurs à l'est du pays. Il est très vite sensibilisé aux problèmes de l'environnement. "Quand j'avais 10 ans, j'ai nagé tout un été avec mes amis les castors. Mais l'année suivante, ils avaient disparu. Tous avaient été tués pendant l'hiver par les trappeurs, ce qui m'a mis hors de moi. J'ai alors cherché les pièges pour les détruire et libérer les animaux".
En 1969, il devient le plus jeune membre co-fondateur de Greenpeace, qu'il quitte en 1977, pour fonder Sea Shepherd. Aujourd'hui, Sea Shepherd est un mouvement international. "Nous sommes présents dans une quarantaine de pays". Des groupes indépendants, qui coopèrent et travaillent ensemble. "Avec quelques règles", souligne Paul. "Notre activité est non violente. Nous ne devons blesser personne. Et toujours représenter nos clients : c'est-à-dire les baleines, les poissons, les tortues... dont je n'ai jamais recueilli de plaintes !!!
LE JOLLY ROGER un PAVILLON DE PIRATE
"Il y a quelques années", raconte Paul, "on a commencé à nous traiter de pirates. Je dois avouer que j'aime ça ! Donc, nous avons notre propre logo de pirate, le jolly roger".
A l'origine, le jolly roger est un pavillon français. Les premiers pirates des Caraïbes étaient français, et possèdaient un pavillon rouge, le"joli rouge", transformé par les anglais en "jolly roger", appellation conservée avec le drapeau noir. "Si vous voulez stopper de vrais pirates, il faut pour y parvenir, d'autres pirates. Nous nous considérons un peu comme des pirates de la compassion, qui s'opposent aux pirates de la cupidité".