Installé depuis 3 ans en pleine garrigue sur la commune de Sillans, Yannick Dolmetta cultive le crocus sativus, cette plante dont la fleur offre, au sein de 6 tépales d'un mauve délicat, 3 étamines jaunes, mais aussi un style, divisé dans son extrémité supérieure en 3 branches rouges : les stigmates qui, séchés, constitueront cette épice précieuse : le safran, traditionnellement baptisé l'or rouge.
UN ENVIRONNEMENT PROPICE
Au sud de Sillans et à la croisée de sentiers pédestres, l'exploitation de Yannick s'étend sur 3 ha, dont 5500 m2 cultivés en crocus. "La terre ici y est propice, elle cumule les meilleures conditions requises : des pluies en mai et septembre, plus de 200 jours d'ensoleillement par an, une altitude avoisinant les 300 mètres, et un terrain argilo-calcaire". Quand il achète le domaine en 1999, il recense essentiellement oliviers, figuiers, arbres truffiers et immortelles. Aujourd'hui,les crocus s'alignent en rangs serrés sur une parcelle défrichée : 100 000 bulbes, dont les multiples feuilles minces se dressent sous le soleil. "Les conditions météo de cet automne ont quelque peu bouleversé la floraison. Ces deux derniers jours, je n'ai ramassé que quelques fleurs".
LA MAGIE DU CROCUS
Le bulbe se développe de façon anarchique. "Le "bulbe père" éclate et sèche, tandis
que se développent en moyenne 4 autres bulbes. Il arrive un moment ou il faut arracher les bulbes pour les démultiplier ; sinon, les fleurs dégénèrent et deviennent de plus en plus petites. On ne
laisse les bulbes en terre que 5 ans maximum. On les arrache en juin. L'an prochain, j'en arracherai 400 000, tous calibres confondus".
Enthousiaste, passionné, Yannick raconte la magie du crocus, avec sa floraison rapide et éphémère. "Le crocus du safran a un cycle inversé. Les bulbes se plantent sous la canicule, en juillet-août, à 15-20 cm de profondeur, et la récolte des fleurs se déroule en automne. La durée de vie d'une fleur n'excède pas 48h, et la floraison est capricieuse : un bulbe peut donner 25 fleurs d'un coup, ou sur 25 jours". Tout le travail se fait à la main : débroussaillage, sarclage, cueillette... Autant dire que l'enthousiasme ne suffit pas, et Yannick a mis au point une technique de collecte lui permettant de ramasser 4000 fleurs à l'heure.
UNE COMBINAISON DE 150 COMPOSES CHIMIQUES
La récolte se fait après la rosée, et l'émondage doit suivre rapidement. Là encore, il s'agit d'un travail manuel. Il faut séparer tépales et étamines, et couper la partie supérieure du style pour récupérer les stigmates. Mais Yannick a déjà prévu une machine qui l'aidera à opérer un tri rapide des différentes parties de la fleur. De 500 fleurs à l'heure, il passera à 1500. Il ne lui manque que le local pour s'installer. "Les stigmates sont séchés sur des grilles, dans une pièce à 20°, durant 4 à 6 jours. Puis ils sont mis par doses de 100 g, dans des bocaux étanches, dans l'obscurité, pour l'affinage qui dure un mois et demi. Les 150 composés chimiques du safran vont se combiner pour donner un produit de goût et de couleur (rouge intense), stables. Le stigmate est alors souple au toucher, et cassant à la pression du doigt".
LE PRODUIT LE PLUS FRELATE DU MONDE
Vendu en stigmates ou en poudre, le safran est utilisé à 60% pour la confection de sucreries, pâtisseries ou glaces. "En stigmates, il se conserve 7 ans, contre 2 lorsqu'il se présente en poudre. Il est aussi plus facile d'adapter un dosage à une recette en stigmates. Enfin, le stigmate, avec sa frange dorée caractéristique, permet de faire la différence entre le safran, et la betterave ou l'hibiscus, ingrédients frauduleux fréquemment employés. Le safran est le produit le plus frelaté du monde". Yannick travaille en bio. Il n'a pas rencontré, jusqu'à présent, de problèmes de parasites, champignons ou petits vers. Mais quelques lapins, campagnols et surtout rats taupiers, creusent des galeries pour se régaler des bulbes. "Ils m'en ont fait perdre environ 1000 en 3 ans".
D'origine moyen-orientale, le safran vient essentiellement aujourd'hui d' Iran. Aux 10ème et 11ème siècles, on a enregistré une grosse production en France. Actuellement, nous en consommons 12 tonnes par an, dont 50 kg sont élaborés sur notre territoire. Son prix moyen chez nous est de 30 000 euros le kilo.
CULTURES DIVERSIFIEES
Yannick ne se contente pas de ses crocus. "J'exploite aussi des oliviers, des arbres truffiers de diverses variétés, des jujubiers, des plaqueminiers, des figuiers... obtenus souvent par bouturage ou marcottage". Il cultive également des pastèques à confire, et des plantes aromatiques : lavande, sauge, sarriette...
LE SAFRAN A SILLANS
Il existe à Sillans la "rue du safranier"... La culture du crocus se pratiquait bel et bien dans ce petit village du Haut Var, connu pour sa
cascade. Elle aurait disparu au cours du 18ème siècle, pour cause de maladies, et / ou de mauvaises conditions climatiques...
ne pas confondre
le crocus du safran, crocus sativus, de la famille des iridacées, dont le style se termine par 3 fourches d'un rouge intense, au centre de 6 tépales mauves
le colchique d'automne, appelé aussi d'ailleurs safran bâtard ou safran des prés. Il possède également 6 tépales mauves. Il contient de la colchicine, utilisée en médecine pour soigner la goutte, mais est extrêmement toxique. Il appartient à la famille des liliacées.