La vie nocturne de la chauve-souris, seul mammifère au vol actif, a favorisé la propagation de légendes fantaisistes, qui occultent parfois leur étonnant mode de vie, leurs extraordinaires performances, et leur rôle important dans la régulation des espèces d'insectes. La France en compte 34 espèces, dont 26 dans le Var. Le modeste village de Sillans La Cascade, avec sa haute falaise de tuf orientée plein sud d'où bondit la Bresque, et ses réseaux de haies, représente pour certaines d'entre elles un site privilégié. C'est là que Laetitia Bantwell, de la Direction de la Protection de l'Environnement du Conseil Général, est venue dévoiler les multiples facettes de cette "souris-chouette", son nom d'origine, apparue il y a 50 millions d'années.
UNE ORIENTATION AU SONAR MAIS ELLE N'EST PAS AVEUGLE
"Les chauves-souris ou chiroptères, littéralement "qui vole avec la main", avaient déjà cette même morphologie dans ces temps reculés", a expliqué Laetitia. "Le bras tout entier supporte l'aile, ce qui lui confère une extrême mobilité en vol. Leur membrane très fine, parcourue par des filaments de collagène et un réseau sanguin, leur permet de dissiper leur chaleur interne, qui atteint 41° en pleine activité. Transpercée par accident, cette membrane repousse et cicatrise sans problème". Quoi de plus surprenant que de voir les chauves-souris suspendues tête en bas pour dormir ? "Leurs moyens de défense contre les prédateurs sont limités, aussi s'installe-t-elles en hauteur, dans des endroits difficiles d'accès aux serpents ou aux fouines. Une position de repos tout à fait naturelle qui ne leur demande aucun effort. Suspendues, leur poids exerce une traction sur les tendons qui maintiennent leurs griffes en position d'accrochage, et elles ont, sur leurs vaisseaux, des valvules qui facilitent le retour du sang vers le coeur".
L'ECHOLOCATION
la chauve-souris émet des ondes sonores qui rebondissent sur les obstacles ou les proies. Ce système leur permet de détecter des objets aussi fins qu'un cheveu humain
Insectivores sur le continent européen, les chauves-souris chassent la nuit, et de toutes petites proies, comme les moustiques. Elles ne sont pas aveugles, comme on le croit parfois, mais sont équipées d'un sonar, émis et réceptionné en permanence. "Elles émettent des ondes, afin de détecter à la fois obstacles et insectes. Soit l'intégralité du nez est transformé en parabole : l'animal émet et reçoit par le nez, comme les rhinolophes. Soit il émet par la bouche, et réceptionne par d'immenses oreilles, comme les oreillards. Certaines chauves-souris émettent des ultrasons sur de longues distances, d'autres sur des distances plus courtes, par exemple pour des déplacements en forêt". Et pas de concurrence pour l'alimentation entre les espèces. Chacune possède un lieu de chasse préférentiel. "Le murin de Daubenton survole les rivières, la pipistrelle prospecte dans les haies, les milieux semi-ouverts ou autour des lampadaires. Le minioptère tourne autour des arbres, l'oreillard chasse en forêt, mais dans la canopée, la sérotine occupe l'étage au-dessus, et la noctule fréquente les grands espaces".
ACCOUPLEMENT AVANT HIBERNATION
Quand arrive l'automne et que la nourriture vient à manquer, les chauves-souris entrent en léthargie profonde. Leur température interne reflète celle de l'endroit où elles se trouvent. Elles choisissent donc des lieux très froids. "Mais elles ne peuvent descendre au-dessous de 0°, elles mourraient. Ces lieux sont aussi très humides pour éviter la déshydratation. Rythme cardiaque et respiratoire ralentissent. Elles sont alors extrêmement fragiles. Un réveil brutal leur fait consommer un tiers de leurs réserves de graisses".Avant l'hibernation, qui se déroule environ de fin novembre à février dans le sud de la France, et d'octobre à fin mars dans le nord, les chauves-souris se sont accouplées. Elles vont soit conserver le sperme, soit être fécondées et conserver l'embryon. La fécondation ou le développement de l'embryon sont différés aux beaux jours."Au printemps, les femelles quittent les mâles pour se regrouper dans des colonies de mise bas, pouvant rassembler de 20 à 2000 individus. Après une durée de gestation variable selon l'espèce, mais aussi selon la durée de l'hiver, elles mettent au monde leur seul bébé de l'année. Un bébé nu et aveugle qu'elles allaitent".
UN LARGE EVENTAIL EN REGION P.A.C.A.
Le sud-est de la France abrite un large éventail de ces petits mammifères volants. Des plus communes, les pipistrelles, jusqu'à la barbastelle d'Europe, la plus rare." Elle
n'évolue que dans des forêts très anciennes, peu fréquentes chez nous à cause des incendies et du défrichage. Son
régime alimentaire est très strict, et se compose de petits papillons liés à des lichens particuliers. On peut l'observer dans le massif des Maures".
Les rhinolophes au nez épaté parcourent haies et bocages. "Ils sont dépendants des corridors et ont une
connaissance très poussée de leur environnement".
Le minioptère de Schreibers est, quant à lui, strictement cavernicole. "En région P.A.C.A., il
hiberne dans une seule cavité des Bouches du Rhône. Il utilise des gîtes relais pour rejoindre
ses gîtes de reproduction, distants de 200 à 300 kilomètres : un sur l'Argens, un autre dans les gorges du Verdon..."
Autre espèce présente sur l'Argens, le molosse de Cestoni, qui, avec ses 45 cm d'envergure, est parmi les plus grandes chauves-souris de France.
"D'origine tropicale, il est le seul à remonter si loin dans le nord. Il hiberne à peine.
Spécialisé dans le vol de très haute altitude, il se nourrit des insectes piégés par l'air. Il a aussi la particularité d'émettre des ultrasons assez graves pour être perçus par l'oreille
humaine, et de disposer d'une queue libre. Il vit dans les falaises, mais aussi parfois dans des bâtiments, comme à Nice".
Le Var compte une espèce de sérotine. Il en existe 2 en France. "Ce sont les derniers animaux de notre pays à transporter la rage. Elles n'en meurent pas, mais la transmettent par la salive". Le département héberge également une espèce rare, le murin de Capaccini. "Une espèce cavernicole, méridionale. Avec 2 colonies renfermant 50% de la population française, le Var porte une grande responsabilité dans sa conservation".
1200 ESPECES DANS LE MONDE
On répertorie 1200 espèces de chauves-souris dans le monde, avec une très grande diversité de tailles, de formes et de régimes alimentaires. "La plus petite n'a que 8 cm d'envergure pour un poids de 5 à 6g, et la plus grande 2m d'envergure pour un poids d'1,400kg. Ces dernières vivent en général en zone tropicale, et se nourrissent de fruits. Elles n'émettent pas d'ultrasons". Certains chiroptères sont nectarivores, sur des cactus qui n'ouvrent leurs fleurs que la nuit. D'autres peuvent chasser par terre, et capturer de petits batraciens. "Et il existe trois espèces qui mangent le sang... Nous sommes loin de toutes les chauves-souris vampires ! Mais ces espèces ont très mauvaise réputation, car elles peuvent transmettre des maladies, en particulier la rage, et infester le bétail ou les volailles. C'est pourquoi il est important de toujours les manipuler avec des gants". Si toutes les chauves-souris présentes dans l'Union Européenne sont insectivores, l'entrée de Chypre dans la Communauté y a introduit une frugivore : la roussette d'Egypte. |
ANIMAUX EN DANGER 2011-2012 ANNEES DE LA CHAUVE-SOURIS
La population des chauves-souris est en régression. A cause de la destruction de leur habitat : la monoculture entraine la disparition des haies et des bosquets. Par la suppression des zones humides, et l'utilisation de produits chimiques qui empoisonnent la chaîne alimentaire. "Les chauves-souris ont un impact énorme sur les populations d'insectes. La pipistrelle peut manger 3000 à 4000 moustiques par nuit, et le murin de Daubenton, un peu plus grand, qui chasse au-dessus des rivières, peut en avaler 10 000. Elles régulent les insectes qui détruisent nos cultures, et leur guano est le meilleur engrais du monde".
A titre individuel, chacun peut contribuer à leur sauvegarde : en évitant les pesticides dans les jardins et les produits toxiques pour traiter les charpentes. En conservant les vieux arbres, les arbres à trous. En leur laissant un accès dans un grenier, une cave, ou en installant des nichoirs. Et en faisant très attention de ne pas les déranger dans les grottes.
2011-2012 ont été déclarées années internationales de la chauve-souris par le Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Nos chauves-souris sont protégées par la loi depuis 1981, et un arrêté du 10 mai 2007 interdit "la destruction, l'altération ou la dégradation des sites de reproduction et des aires de repos des animaux".
Si vous trouvez une chauve-souris blessée, vous pouvez contacter les centres ci-dessous
ETUDIER LES CHAUVES-SOURIS
"Par le passé, la seule méthode pour étudier les chauves-souris", a expliqué Laetitia, "était la capture, à l'aide de filets très fins. Une méthode assez traumatisante, et qui ne permet pas d'attraper les rhinolophes, car leur sonar est tellement puissant, que ces filets représentent pour eux un véritable mur". Aujourd'hui, les détecteurs d'ultrasons ont pris le relais. Leur microphone capte les hautes fréquences, et un système électronique permet de les abaisser jusqu'à un seuil audible pour l'être humain. C'est avec un appareil de ce
type, un "hétérodyne", que nous avons effectué une balade nocturne à la cascade de Sillans avec Laetitia. "La
chauve-souris qui est émet dans les fréquences les plus basses est le molosse de Cestoni, et le petit rhinolophe émet dans les fréquences les plus
élevées". Nous avons pu aussi repérer deux grands types de sons "qui
dépendent de la forme du tragus (petite saillie située en avant du conduit auditif) de l'oreille. Les chauves-souris au tragus rond comme la pipistrelle ou la noctule, émettent des sons mouillés. Celles au tragus long comme
les oreillards ou les murins, émettent des sons secs,
saccadés".La télémétrie permet de suivre les déplacements des chauves-souris. "Les animaux sont équipés d'un émetteur, gros comme un grain de riz et pesant environ un gramme, fixé avec une colle
chirurgicale qui se résorbe au bout d'une quinzaine de jours. Une durée suffisante pour parvenir à repérer leurs gîtes, leurs routes de vol, et leurs sites de
chasse".
Autre méthode utilisée : le baguage, "devenu anecdotique de nos jours, mais qui a permis de constater par exemple la longévité étonnante d'une pipistrelle
de Nathusius : 46 ans pour un animal de huit grammes, ce qui ne correspond guère au schéma traditionnel, qui veut que plus un animal est petit, plus sa durée de vie est
brève".
Chiens et chats détectent les ultrasons. Mais les seuls sons émis par les chauves-souris que nous, humains percevons, des cris très
aigus, sont des cris sociaux, utilisés plus
particulièrement pour la défense de leur territoire.