Nous avons traversé l'oliveraie où les arbres fraîchement taillés étendent leurs moignons dénudés, longé la prairie éclaboussée du rouge éclatant des coquelicots, et descendu le sentier ombragé jusqu'à la cascade. Là-haut, sur la falaise, les eaux de la Bresque se faufilent entre les arbres, avant de s'élancer pour un saut de 40 mètres, explosées en d'innombrables gouttelettes. Spectacle sans cesse renouvelé, toujours fascinant. La chute de Sillans est la plus haute du département, mais le Haut Var regorge de rivières, sources et cascades qui ont formé, en ce terrain calcaire, tufs et travertins, des milieux naturels très riches. Par arrêté du 2 juin 2010, un territoire comprenant 11 communes entre les régions de Brignoles, Draguignan et le Bas Verdon, a été classé Natura 2000. Thierry Darmuzey, chargé de mission sur ce projet, invité par l'Association Sillanaise de Protection de l'Environnement, a expliqué les raisons de ce choix, et ses implications.
MAINTENIR DES ELEMENTS DU PATRIMOINE NATUREL
"Le réseau Natura 2000 est une démarche européenne", a souligné Thierry, "qui souhaite maintenir certains éléments du patrimoine naturel spécifique à une région, protéger des habitats et les espèces qui y vivent, tout en tenant compte des préoccupations économiques et sociales". Les sites, terrestres ou maritimes, sont choisis en fonction de la rareté et de la fragilité des variétés sauvages répertoriées, et de leur milieu de vie. Le Haut Var, contrefort du Verdon, compte de multiples sources et cours d'eau, affluents de l'Argens, qui ont créé tufs et travertins parmi les plus importants de France.
"Très chargées en carbonate de calcium, ces eaux, en jaillissant à l'air libre, entrainent la cristallisation du calcaire sur la végétation environnante. Le tuf ainsi formé, dépôt friable et fragile au départ, va se tasser au fil du temps pour constituer le travertin, roche légère, solide, qui se taille facilement et que l'on retrouve dans de nombreuses constructions locales."
Les différents milieux élaborés par ces phénomènes demeurent très vulnérables. Aujourd'hui, la pollution consécutive à certaines pratiques agricoles, et la baisse du débit des cours d'eau (augmentation des prélèvements et sécheresse de 2006 à 2008), ne sont pas favorables à de nouvelles créations de travertin, et les formations existantes peuvent être dégradées par le piétinement ou des aménagements ; des reconversions agricoles seraient susceptibles d'entrainer la régression des prairies humides, et les forêts courent toujours le risque d'incendies... Le site Natura 2000 "Sources et tufs du Haut Var", Zone Spéciale de Conservation, touche les communes d'Aups, Barjols, Cotignac, Fox Amphoux, Ponteves, Salernes, Sillans, Tavernes, Tourtour, Varages et Villecroze, réunies en 4 zones.
MILIEUX DES COLLINES CALCAIRES PROVENCALES
"Les milieux karstiques visés par Natura 2000 sont typiques des collines calcaires provençales". Bien sûr, on y trouve les spectaculaires bouchons de travertin de la Bresque à Sillans et du ruisseau de la Baume à Villecroze, les balcons de travertin de Cotignac, Tourtour, Barjols ou Varages ; des lieux de reproduction pour les chauves-souris. Mais aussi des milieux liés aux petits cours d'eau, qui varient en fonction de leur débit : les cascades avec leurs voiles : "on observe à proximité de ces eaux tourbillonnantes illuminées par le soleil des plantes rares, les cratoneurons" ; les zones de tufs en construction où se développent des végétaux très archaïques, et quand le cours d'eau ralentit, des herbiers aquatiques, importants pour les libellules et certaines espèces de poissons, comme le blageon et le barbeau méridional, une espèce protégée : "dans l'Argens, il s'hybride avec le barbeau fluviatil et a tendance à disparaître. C'est dans ces rivières que l'on peut encore trouver, difficilement, des écrevisses à pieds blancs, seule écrevisse d'eau douce en Provence, autrefois très abondante. Elle se cache, car elle craint la lumière, et se protège des prédateurs".
Le "rocher" de Cotignac : une falaise de tuf ouvragé de 400 mètres de long et 80 mètres de haut. Un relief créé par les eaux de la Cassole, qui coulaient en large cascade par-dessus le rocher, jusque dans les années 1000. Puis, après des inondations catastrophiques, son cours a été détourné pour suivre, depuis 1740, le tracé actuel, à l'est du village, qui s'est alors largement étalé au pied de la falaise. Deux tours, dites sarrasines la surplombent, et l'on dit qu'elles permettaient, outre la surveillance d'un vaste horizon, un accès direct au rocher par des passages secrets... Les grottes, qui ont servi de cachette pour les habitants et leurs troupeaux en période de danger, ou de réserve pour leurs vivres, ont été plus ou moins aménagées. De nombreux oiseaux y nichent aujourd'hui, et avec un peu de chance, on pourra apercevoir, à la nuit tombante, le hibou grand duc sur la falaise.
Cascade de la Trompine : dans le Gai Vallon, à Cotignac, la Cassole effectue un saut d'une dizaine de mètres. L'agrion de mercure, petite demoiselle, vit au bord des cours d'eau bien ensoleillés. Il se nourrit d'insectes qu'il chasse, à l'affût sur un support.
Villecroze : la cascade couvrait jadis toute la largeur de la falaise, encore une falaise de tuf élaborée par la calcification des végétaux
A l'intérieur, des grottes spectaculaires, utilisées comme refuge à l'état naturel, puis aménagées dans un site fortifié. Ici, la grande salle.
Pas de végétation sur les barrages travertineux. Les eaux vives sont un lieu de vie idéal pour le cincle plongeur, le seul passereau qui plonge, nage et marche sous l'eau, à l'aide de ses ailes, de sa queue, et de ses pattes non palmées. Les eaux vives sont son domaine. Il se nourrit d'insectes aquatiques, larves, vers, petits mollusques.
Barjols : la fontaine Raynouard, dite aussi fontaine du champignon, construite en 1906, dissimule sous son enveloppe de calcaire une sculpture représentant un faune se prélassant dans une conque. Cette carapace de tuf et de mousses est régulièrement taillée. Plusieurs cours d'eau (l'Argens, le Fauvery et l'Eau Salée) arrosent ce village accroché à la colline. Barjols est surnommée "la Tivoli de Provence", et compte des dizaines de fontaines et de lavoirs. Centre de la tannerie durant quelques 300 ans, elle passe du stade artisanal au stade industriel au 19èms siècle. Face à la compétitivité du Maroc, la dernière tannerie ferme en 1983. La plupart de ces bâtiments ont été réhabilités par les artistes.
Du Gros Bessillon, vue sur la plaine et Fox Amphoux. Au printemps, l'iris nain ou iris des garrigues apparait çà et là sur son sommet.
"Les zones ouvertes sont maintenues par l'agriculture, et son abandon entraine le développement des pelouses, entretenues en plaine par l'élevage, avec fauchage au printemps, et pâturage en automne. On peut y dénombrer parfois jusqu'à 60 espèces différentes, un atout important pour la santé des troupeaux. Certaines plantes engraissent le sol naturellement, d'autres sont vermifuges... Des plantes mellifères représentent un intérêt évident pour les apiculteurs".
Le narcisse des poètes, comme l'orchis des marais, affectionne les prairies humides
"la cistude se retrouve également ici, en situation
atypique"
Outre la ripisylve, ce corridor végétal, des roseaux jusqu'aux saules, peupliers et frênes qui bordent les rivières, des forêts abondantes couvrent le Haut Var, que ce soient des pinèdes (pins maritimes et pins d'Alep), ou des chênaies ; chênes verts ou yeuses, qui ne perdent pas leur feuilles, et que l'on trouve plutôt sur les hauteurs, et chênes pubescents, adaptés à la sécheresse avec leurs petits poils sur la face inférieure des feuilles, plus facilement implantés dans les vallons. Ces derniers sont marescents, c'est-à-dire que leurs feuilles sèchent sur l'arbre où elles demeurent jusqu'à la pousse de nouvelles feuilles. "Lorsque ces arbres vieillissent, leur intérêt pour la diversité augmente. Ils sont un lieu de vie pour les insectes qui se nourrissent de bois en décomposition, et pour certaines chauves-souris".
le grand capricorne est l'un des plus grands coléoptères d'Europe. Il se reproduit dans les vieux chênes, et passe la majeure partie de sa vie à l'état de larve. C'est un insecte plutôt crépusculaire ou nocturne. Il vole de juin à septembre.
GESTION DU SITE
"Cette nature est gérée, dans le cadre du site Natura 2000, par les acteurs du territoire, soit des forestiers, des agriculteurs, des associations, des communes... auxquels Natura 2000 peut proposer une charte : l'adhésion à la charte signifie un engagement au maintien des habitats et espèces d'intérêt communautaire dans un bon état de conservation, et n'est pas rémunérée. Natura 2000 propose également des contrats, passés avec l'Etat : un travail accompli peut faire l'objet d'une compensation financière. Il peut concerner le maintien de l'équilibre entre milieu ouvert et forêts, la réduction des pesticides, l'entretien et la réhabilitation des haies, etc... Le contrat, comme la charte est pris pour une durée minimale de 5 ans. Un animateur du site pourra aider les gens désirant souscrire à la charte ou au contrat, dans les objectifs à atteindre et dans les démarches administratives. Le respect de la réglementation est encadré par l'Etat."